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Cette formidable intuition, cher voyageur, qui s'impose à moi comme une idée
fixe, une obsession, me
remplit en même temps de paix, de joie et d'espoir fabuleux, je ne sais comment
l'expliquer ! Cette
"voix" me fait du bien, me dit du bien, en somme elle me "bénit".
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C'est une bénédiction !
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Absolument, et qui rejaillira sur mes descendants, sur la terre entière !
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Là, noble berger, vous vous prenez peut être un peu trop au sérieux, si vous
me permettez...!
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C'est ce message d'ailleurs, de ce dieu mystérieux (j'en suis convaincu) que
je prends au sérieux. Mais,
tout cela serait très agréable et sympathique, s'il n'y avait autre chose...
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Allons bon ! Il veut que vous changiez de femme, par exemple ?!
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Non ! ... mais de pays ! Cet appel me pousse, avec une force extraordinaire,
à quitter Ur, la
Chaldée,
la patrie de mes ancêtres, mes sécurités, mes traditions, même mes dieux familiaux...
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Tout seul, comme ça ? C'est vrai que la région commence à se désertifier, après
les déluges
d'autrefois,
c'est maintenant le contraire, et certains bergers émigrent...
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C'est ce que je vais faire. Je vais partir avec Saraï, ma femme, mon personnel,
et mes troupeaux.
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Pour aller où, sans indiscrétion ? Dans la région, il n'y a pas grand chose
: déserts à l'orient, au couchant,
la mer et l'embouchure inondable des deux fleuves, au midi...
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Et bien reste vers le nord, en remontant le long de l'Euphrate. j'ai de la famille
par là bas, mais je
pense qu'il faudra aller encore plus loin. J'ai une vocation d'étranger et voyageur
sur cette terre
! Ce Dieu bizarre me conduira et me gardera, j'en ai la certitude.
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Ah bien ! au moins, vous, vous avez la foi ! Partir sans savoir où l'on va,
sur une simple parole,
intérieure,
qui plus est, c'est un peu de la folie, excusez mon audace !
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J'en ai parlé à mon neveu Loth, qui a pas mal de biens aussi. Il m'est très
attaché, et veut me
suivre,
partir à l'aventure, même s'il ne sent pas cette voix intérieure ! Alors...
en avant ! -
Et bien, noble berger, que ce dieu qui vous a parlé, comme vous le croyez...
vous bénisse ! Adieu !
"Abram
avait 75 ans, dit- on,
quand il se mit en marche.
dans la course de
la foi, le voici à genoux pour
aller plus vite. Il tend
vers
le ciel les mains de la
prière comme deux coupes
vides en attente de
bénédiction. Abram est
un canal entre le ciel et
la terre. En lui coulera la
paix pour toutes les nations."
Henri Lindegaard (texte et
dessin)
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